Un mois de stages et quelques principes

Ma série de stages en Europe a été une fois encore l’occasion d’essayer de présenter un travail riche et différent de ce qui est fait d’habitude. Comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises au cours de ces stages, mon enseignement se divise en trois parties, plus ou moins égales. Deux d'entre elles sont enseignées largement dans tous les dojos de Nihon Tai Jitsu, la première nettement plus rarement pour ce que j’en vois. A noter que si ces parties sont “égales” en termes de temps d’enseignement dans mon dojo, elles ne le sont pas dans ma pratique personnelle puisque la première doit représenter grosso modo 80% de ma pratique.

Quelles sont donc ces trois parties? Forger le corps, l’apprentissage des techniques traditionnelles et le travail libre.

La forge du corps est la base de mon travail et je considère qu’elle est nécessaire pour pourvoir faire fonctionner les techniques correctement sans utiliser de force inutile. Et ces deux éléments ensemble sont ce qui permet au pratiquant d’arriver à un travail de plus en plus libre. Le travail de forge me semble être la base, tout simplement parce qu’il me semble audacieux de vouloir contrôler le corps d’une tierce personne non complaisante sans arriver à contrôler un minimum son propre corps.

Dans la forge du corps, je considère trois éléments principaux:
  1. Le type de corps recherché (neutre, lourd/léger, connecté/dissocié, élastique, mobile, etc) sachant qu’il est possible de les utiliser ensemble ou successivement en fonction de la situation
  2. La façon de se déplacer, à commencer par la marche, mais en y incluant également les ukemi
  3. Le travail de l’intention, qu’il s’agisse d’enlever la force au point de contact ou de travail plus “mental” sur la perception et la projection de l’intention

Le sujet étant complexe et difficile à traiter en quelques heures, je ne rentre évidemment pas dans le détail de toutes les parties à chaque stage. Pour certains je me concentre sur les éléments les plus basiques comme le corps neutre (le “point mort” du corps humain avant de bouger) et le corps lourd (qui permet de transmettre la force de la gravité et qui nécessite donc une grande relaxation notamment dans les articulations), pour d’autres je rentre dans les détails plus avancés de la connection des différentes parties du corps, et dans des cas plus rares je rentre dans les choses plus avancées qui demandent je pense un gros conditionnement en amont.

Bouger correctement pour enlever la tension

Bouger correctement et enlever les tensions dans le corps est une première étape. Si on considère que les arts martiaux ont été conçus pour que des gens plus faibles puissent faire face à des gens plus forts, il est fort peu logique que dans la plupart des dojos les techniques doivent passer en force ou en jouant sur la coopération du partenaire… De même que je trouve incohérent de faire faire des pompes à l’échauffement tout en expliquant aux élèves que la pratique proposée leur permettra d’abattre un adversaire beaucoup plus fort physiquement. Si l’idée est d’affronter quelqu'un de plus fort physiquement, potentiellement armé, et qui nous prend par surprise, pouvoir répondre par la simple force musculaire est optimiste.

Ma compréhension est qu’il faut donc quelque chose de plus. Une capacité par exemple à transmettre une force beaucoup plus grande que notre poids réel ou notre force musculaire. Ou au contraire une capacité à enlever totalement la force pour ne pas être perceptible. Si ma pratique est plus orientée vers le premier que vers le deuxième choix, je ne pense pas pour autant que l’une des deux options soit meilleure que l’autre.

Kuzushi au moment du contact

Pour les mêmes raisons je crois que le Kuzushi doit avoir lieu au moment du contact, car je crois ce moment déterminant. Le combat de survie est différent du cinéma et un combat n’aura pas l’occasion de s’éterniser. Une bonne raison de l’amener à se terminer très rapidement en notre faveur.



Physiquement et mentalement, j’ai un goût prononcé pour la notion d’Irimi. Physiquement en rentrant profondément dans la distance du partenaire, le plus souvent en glissant sur lui. Mentalement, en faisant que cette entrée permette de prendre un ascendant psychologique net. Dans les deux cas, l’adversaire doit être pris dès l’entrée et c’est pourquoi je rejette autant que possible les entrées qui consistent à sortir à trois kilomètres pour revenir. Une sortie loin de l’adversaire est le plus souvent une possibilité pour lui de continuer son attaque.

Le Kuzushi est également pour moi à séparer de la “douleur”. La bonne grosse clé qui fait mal, c’est marrant et ça donne un certain sentiment de satisfaction à notre ego, mais je suis de plus en plus convaincu que devoir se reposer sur un signal tel que la douleur est le signe d’une pratique limitée. Si la douleur peut parfois être un bonus, je ne crois pas qu’elle soit un aboutissement, ni même un moyen. Au contraire, je crois que c’est le meilleur moyen de rester au plus bas niveau de la pratique.


Comprendre l’essence des Kata

Si je n’enseigne pas les kata et les techniques de base dans mes stages, considérant que c’est le travail des directeurs techniques régionaux et nationaux, j’y fais en revanche très souvent référence parce qu’une grosse partie de ma pratique consiste à décortiquer ces bases encore et encore et à chercher à leur trouver plus de sens chaque jour. Je suis notamment fermement convaincu qu’un kata ou une technique qui n’a pas un sens particulier n’a rien à faire dans un cursus de formation de base, et qu’il doit donc forcément y avoir des choses à trouver en creusant un peu.

Lorsque je fais référence à ces techniques, je montre donc ce qui pour moi peut faire l’essence du mouvement. Qu’il s’agisse d’un principe corporel ou stratégique, en précisant que la “forme usuelle” du kata est une porte d’entrée et qu’en apprenant on ouvre tout simplement la porte. Mais il ne tient qu’au pratiquant de la franchir et d’explorer ce qu’il y a derrière.

Commentaires

Alexis a dit…
Très intéressant article qui fait écho à ce que j'ai commencé à structurer dans mes recherches personnelles. Utilisant un mindmap, je retrouve des éléments dans ton schéma. C'est encourageant !
Je partage ton avis sur les clés, rechercher la douleur n'est pas une bonne idée, rechercher une déstructuration est plus intéressant et plus simple à avoir. Etant souple, il m'arrive de subir des clés sans avoir mal ni perdre ma structure, en ayant mal avec ma structure (et pouvant riposter), ou ce qui me paraît le mieux ne pas forcément avoir mal mais sentir ma structure désarticulée ou aspirée par l'autre.
Petite question, travailles-tu tes projections seul ? Quels outils utilises-tu dans ce cas ?
Xavier a dit…
Heureux de voir que je ne suis pas tout seul sur cette voie!
Je suis tout à fait d'accord sur les clés, a fortiori parce que nous ne sommes pas tous égaux devant la douleur. Certains ne la sentent pas, d'autres la sentent mais ne perdent pas leurs moyens pour autant, etc. Alors qu'une fois déstructuré l'adversaire est moins dangereux, douleur ou pas

je travaille tout seul en fait. Soit par visualisation, soit en testant une nouvelle façon de bouger dans le vide, ou parfois en essayant de reproduire un mouvement qui utilise les mêmes principes avec une arme (ippon seoi nage avec un sabre par exemple en travaillant), on est limités que par notre imagination ;)

Articles les plus consultés